Les bouffons de Dieu by Morris West

Auteur:Morris West [West, Morris]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
ISBN: 2253030708
Publié: 1980-12-31T23:00:00+00:00

Sa rencontre avec Lotte se déroula de façon étrange. Elle eut un moment de choc, de déception, presque, quand elle le vit dans ses vêtements laïques. Une gêne subite l’empêcha même de lui tendre la main. Il dut la prendre par le bras et l’attirer vers lui. Pendant une fraction de seconde, on aurait dit qu’elle allait repousser son étreinte, puis elle perdit le contrôle d’elle-même, s’agrippa à lui et se mit à sangloter en silence tandis qu’il la consolait comme une enfant avec des paroles simples et tendres.

Katrin arriva juste à ce moment. Johann lui présenta l’oncle Jean et-après quelques mots embarrassés, ils se parlèrent calmement. Katrin leur fit part du bulletin de santé du matin de son père.

— J’ai vu le docteur Pelzer. Il n’est pas très satisfait. La fièvre a remonté. Papa ne répond pas aussi bien qu’hier à ce qu’on lui dit. Vous savez qu’il nous serre la main quand il comprend quelque chose. Eh bien, ce matin, il n’a réagi qu’une seule fois. Le reste du temps, il m’a semblé inconscient. Le docteur Pelzer m’a dit que je pouvais partir. Si un changement soudain se produit, on nous fera appeler.

Lotte hocha la tête et partit s’occuper des préparatifs du déjeuner. Katrin la suivit dans la cuisine. Johann déclara brusquement :

— Voilà comment nous vivons. Toujours en dents de scie. Un moment d’espoir et le moment suivant, en baisse. C’est pourquoi je ne veux pas que maman et Katrin se bercent d’espoirs. Je ne veux pas qu’elles s’accrochent à des chimères.

— Vous craignez que je tente de leur donner de faux espoirs ?

— Vous avez dit que mon père vivrait.

— J’en suis certain.

— Pas moi ; aussi je préfère que maman et Katrin apprennent à vivre dans l’incertitude. Ce sera bien assez dur, que papa vive ou non.

— Je suis votre hôte. Je respecterai votre désir.

À cet instant, Lotte revint avec une nappe et des serviettes. Elle les donna à Johann et lui demanda de mettre la table. Elle prit Jean-Marie par le bras et l’entraîna dans la pièce voisine.

— Katrin prépare le déjeuner. Nous avons quelques minutes de tranquillité. C’est drôle, je ne peux pas me faire à vous voir dans cette tenue. À Rome, vous m’avez toujours paru si majestueux. C’est étrange d’entendre les enfants vous appeler oncle Jean.

— J’ai peur que Johann ne m’apprécie pas beaucoup.

— Il fait tant d’efforts pour être l’homme de la maison que parfois il est un peu perdu. Il n’arrive pas à s’ôter de l’idée que vous êtes responsable, en quelque sorte, de ce qui est arrivé à son père.

— Il a raison. J’en suis responsable.

— D’un autre côté, il sait combien Carl vous aime et vous respecte, mais il n’ose pas s’aventurer sur ce terrain sacré sans que vous ou Carl l’y invitiez. C’est difficile. Je le comprends, parce que moi aussi j’ai eu des difficultés au début. Ajoutez à cela la peur de la guerre et le ressentiment qu’il éprouve, comme tant de millions d’autres, d’être appelé à combattre pour une cause perdue d’avance.

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